En proposant d’accorder la primo-prescription aux orthoptistes dans le PLFSS 2022 (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale), les pouvoirs publics tournent le dos aux préconisations du rapport Igas 2020 qui souhaitait donner une place accrue aux opticiens dans la filière de santé visuelle. Un coup dur pour la profession. Et une mesure qui ne résoudra pas, selon toute vraisemblance, les difficultés d’accès aux soins visuels dans certains territoires.

Présenté officiellement le 24 septembre dernier, le projet de loi prévoit d’autoriser les orthoptistes, sans prescription médicale préalable, à réaliser les bilans visuels simples pour les faibles corrections et à prescrire lunettes et lentilles. En clair, les patients auront un accès direct aux orthoptistes qui se verraient donc octroyer la primo-prescription. « Cette mesure, qui devrait concerner 6 millions de patients, permettra de réduire fortement les délais d’attente, d’augmenter le nombre de patients reçus et, par conséquent, d’améliorer l’accès aux soins », peut-on lire dans le dossier de presse du ministère de la Santé. A celle-ci devraient s’ajouter, selon nos informations, 2 dispositifs supplémentaires en faveur des orthoptistes : le dépistage de l’amblyopie et des troubles de la réfraction des jeunes enfants sans prescription médicale dans le cadre d’une campagne MT’Yeux (pour les 9-15 mois et les 30 mois-5 ans) ; et un nouveau protocole concernant les résidents entrant en Ehpad.

« 3 mesures en faveur des orthoptistes : l’arbitrage actuel du gouvernement oublie encore les opticiens »

Ces 3 mesures transforment les orthoptistes en référents de la prévention en santé visuelle et en « optométristes » à la française. Parallèlement, rien sur les opticiens dans ce PLFSS 2022. Le texte fait donc fi de toutes les préconisations du rapport Igas et, en particulier, de la possibilité d’une primo-prescription par l’opticien, afin de réduire les délais d’attente chez les ophtalmologistes.

« Le gouvernement semble vouloir faire des orthoptistes des ‘’optométristes à la française’’ »

Ce PLFSS s’apparente à un recul pour les opticiens. Car il marque un coup d’arrêt à la séquence commencée en 2015 avec le premier rapport Igas sur la filière et les avancées consécutives à la mise en place du 100% Santé concernant de nouvelles délégations de tâches aux opticiens. Toutefois, il n’était pas vraiment attendu que la modification de leurs règles professionnelles et de leurs prérogatives fasse partie du PLFSS. Si changement il y a, il se fera par décret.

« Le rapport Igas enterré ? »

De leur côté, les ophtalmologistes n’approuvent pas vraiment ces mesures. Parce qu’elles repensent l’organisation de la filière de santé visuelle en « autonomisant » les orthoptistes libéraux (57% des orthoptistes ont un exercice libéral ou mixte) vis-à-vis des ophtalmologistes et leur font « perdre » une partie de la réfraction. Après 10 ans de mise en avant des orthoptistes, le Snof (Syndicat national des ophtalmologistes de France) joue plutôt la carte des auxiliaires médicaux, particulièrement des infirmières.

« L’accès aux soins visuels est avant tout une problématique territoriale »

Surtout, elles font l’impasse sur la démographie et la répartition géographique des orthoptistes, comme notre carte publiée il y a un an le démontre (La répartition des 3 « O » par département plaide pour une réorganisation de la filière). En 2021, on compte 5 863 orthoptistes et la variation de leur densité par département suit celle des ophtalmologistes. Alors même que les opticiens sont installés sur tout le territoire dans une proximité avec la population. L’accès aux soins est bien, avant tout, une problématique territoriale. Accorder la primo-prescription aux orthoptistes devrait « libérer » des ordonnances, certes. Mais pas suffisamment pour améliorer significativement l’accès aux soins visuels. Et surtout pas partout.

Reste à savoir ce qu’il restera de ce projet de loi au moment de son examen par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce PLFSS n’est donc pas un texte définitif. Mais le signal envoyé par les pouvoirs publics ne va pas dans le sens d’un opticien spécialiste de la santé visuelle des Français.

Marie-Dominique Gasnier, rédactrice en chef

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