« Donner plus de responsabilité aux opticiens et aux orthoptistes… Faire son bilan visuel chez les opticiens en lien avec des ophtalmologistes… déléguer des tâches aux paramédicaux… ». Mercredi 26 octobre, Emmanuel Macron a plaidé pour une coopération renforcée entre les 3 « O » pour lutter contre les déserts médicaux. Des délégations de tâches qui vont dans le sens de l’histoire, pour Philippe Mossé, économiste, directeur de recherche émérite au Laboratoire d’économie et de sociologie du Travail (CNRS et Aix-Marseille Université).

Philippe Mossé

Philippe Mossé, économiste, directeur de recherche émérite au Laboratoire d’économie et de sociologie du Travail (CNRS et Aix-Marseille Université)

Est-on à la veille d’un tournant dans le système de santé français avec une plus grande coopération entre tous les professionnels de santé, dont les opticiens, pour remédier aux déserts médicaux ?

Ce tournant est amorcé depuis plus de 20 ans. Dès décembre 2003, 5 expérimentations de coopération et de délégation de tâches entre professionnels de santé ont été menées dans une logique de lutte contre les déserts médicaux : elles ont montré que cette délégation n’engendrait pas une baisse de la qualité des soins et ne suscitait pas de perte de confiance des patients. In fine, la loi de santé de janvier 2016, qui a reconnu la nouvelle profession d’infirmiers de pratique avancée (IPA), est venue officialiser ce qui se faisait déjà sur le terrain. C’est le sens de l’histoire.

« Les opticiens peuvent s’inspirer des infirmiers qui ont été moteurs de leur formation. Cette volonté de se perfectionner est le meilleur signal positif envoyé aux pouvoirs publics et aux ophtalmologistes »

Les opticiens peuvent s’inspirer des infirmiers, qui ont été moteurs de l’évolution de leur formation, qu’il s’agisse de la reconnaissance du diplôme d’Etat à niveau bac + 3 universitaire ou du passage à Bac +5 pour les IPA. Le livre blanc publié par le Conseil interprofessionnel de l’optique (CIO) est de ce point de vue encourageant.

D’ici-là, les opticiens peuvent agir grâce à la formation – poursuite d’études en licence ou master, DU, etc. – comme les infirmiers le faisaient eux-mêmes avant la reconnaissance des IPA. Cette volonté de se perfectionner est le meilleur moyen d’adresser un signal positif aux pouvoirs publics mais aussi aux ophtalmologistes et aux orthoptistes, avec qui il est important de créer ou d’entretenir des relations de confiance.

Ces relations de confiance ne vont pas toujours de soi. Le syndicat des ophtalmologistes reproche régulièrement aux opticiens de ne pas séparer la santé de la vente…

C’est à la fois compréhensible et hypocrite : les actes simples représentent une bonne partie des revenus du médecin. Cela explique leur frilosité, entretenue également par la forte « verticalité » de notre système de soins…

« L’absence de confiance des médecins est à la fois compréhensible et hypocrite : les actes simples représentent une bonne partie de leurs revenus »

Toutefois, les lignes bougent : les jeunes médecins sont davantage à l’écoute des paramédicaux et leur rapport de travail diffère de celui de leurs confrères plus âgés : ils sont de plus en plus nombreux à vouloir être salariés afin de gagner en qualité de vie, ou à vouloir déléguer les tâches simples pour, justement, se concentrer sur leurs missions les plus exigeantes. Bref, cette évolution est irréversible, y compris dans la filière optique, mais aussi souhaitable puisqu’elle favorisera un meilleur suivi grâce à une coopération réelle entre médicaux et paramédicaux. Et ce suivi, dans une société vieillissante, est essentiel.