Dans son enquête « Le livre (très) noir des mutuelles » (Albin Michel), l’ex-grand reporter au Parisien, Daniel Rosenweg, dresse un bilan sans concession des complémentaires santé. Données à l’appui. A l’heure où les pouvoirs publics planchent sur une réforme de l’articulation Assurance maladie obligatoire/Ocam, il promeut un système où les porteurs comme les opticiens pourraient très bien se passer des complémentaires santé.

Bien Vu a interviewé ce spécialiste de l’économie de la santé qui nous livre son analyse du rôle des Ocam, en particulier en optique.

Trop chers, peu transparents, contraignants vis-à-vis des professionnels de santé dans le cadre des réseaux de soins… Votre critique des Ocam est sans appel…

La pandémie a fait économiser 2,8 milliards d’euros aux complémentaires santé en 2020, mais leurs cotisations ont augmenté de 2,5% en 2021… Malgré la demande de l’exécutif d’une « modération ». Et en 10 ans, les tarifs ont augmenté de 45%, sans bénéfices pour les patients, le tout dans une opacité certaine : tarifs cryptiques pour les non-avertis, Ocam imposé aux salariés, obstruction au tiers-payant généralisé, comptes non publiés… Ces prix sont dus à la concurrence importante entre complémentaires santé, qui les pousse à multiplier les frais d’acquisition, de marketing, de publicité… Soit 3 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 10 milliards de frais de gestion, 4 fois ceux de la Sécurité sociale !

« Tarifs cryptiques pour les non-avertis, Ocam imposé aux salariés, obstruction au tiers-payant généralisé, comptes non publiés…. Une certaine opacité continue de régner au sein des Ocam »

Sans compter des inégalités de traitement : un habitant d’Ile-de-France paie plus qu’un Rennais, les seniors paient plus cher que les plus jeunes… Et la pratique d’un dumping opportuniste : les contrats collectifs (ceux des salariés) sont vendus à perte (740 millions de perte en 2019) à des fins concurrentielles. Une perte compensée par les 1,2 milliard d’excédents dégagés par les contrats individuels – retraités, étudiants, travailleurs indépendants, chômeurs – bien plus chers. Actuellement, sans l’aide de l’Etat, 11 millions de personnes ne pourraient s’offrir une complémentaire santé.

Partant de ce constat, vous allez plus loin en remettant en question, globalement, leur utilité… Peut-on imaginer se passer d’une complémentaire santé ?

Selon le ministère de la Santé, la consommation moyenne de soins et biens médicaux s’élève à 3 109 euros par an et par habitant. L’Assurance maladie obligatoire prend à sa charge 78,2%, ce qui représente 2 431 euros et les mutuelles 13,4%, soit 417 euros… Dans le même temps, selon une étude menée par lesfurets.fr, un contrat individuel coûte, en moyenne, 880 euros par an par personne. Voilà qui remet en cause leur rôle « stratégique ».

D’autant que leur intérêt repose pour beaucoup sur le remboursement des frais optiques, dentaires ou audio, qui, à travers le 100% Santé, pourraient occasionner de moins en moins de reste à charge.

Bref, si ce dispositif poursuit sa montée en puissance, je vois mal les Français continuer à débourser des sommes importantes pour leurs complémentaires.

Pourtant, avec un taux de recours limité en optique – 14,7% en verres, 13,2% en montures-, le 100% Santé ne rencontre pas un franc succès dans ce secteur. Les porteurs se tournent vers d’autres équipements plus qualitatifs, donc plus coûteux, ce qui les amène à conserver leurs complémentaires…

Avec le temps, l’offre 100% Santé va gagner en variété, en qualité. Je pense, par exemple, aux verres progressifs inclus dans le panier A qui, la majorité du temps, restent encore des verres ancienne génération.

« Plusieurs sondages récents montrent que les bénéficiaires font moins confiance que par le passé à leurs complémentaires »

Et puis, les réseaux de soins, eux aussi, restreignent les possibilités, en matière de produits, mais aussi de liberté de choisir son professionnel de santé. Voyons même l’exemple de « l’affaire des codes LPP détaillés » : on peut y voir la volonté des Ocam de conserver les données de santé de leurs bénéficiaires pour, encore un peu plus, individualiser les contrats. Et ça, les Français commencent à en prendre conscience : plusieurs sondages récents montrent que les bénéficiaires font moins confiance que par le passé à leurs complémentaires.

Et justement, l’HCAAM (Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie) envisage une réforme de l’articulation entre AMO et AMC… Avec 4 scenarii envisagés, dont 2 de « rupture » : soit une « Grande Sécu » (Assurance Santé et non plus Assurance Maladie), soit un « décroisement » des responsabilités de l’AMO et des Ocam. Quel est, en cette période de campagne présidentielle, le scénario le plus plausible ?

Je défends l’idée d’un élargissement du régime d’Alsace-Moselle à toute la France. La complémentaire serait obligatoire, universelle et mutualisée, contrôlée par les partenaires sociaux, ce qui éviterait une concurrence féroce entre Ocam. Et pour les soins annexes – optique, dentaire ou de confort – une « supplémentaire » pourrait être proposée, ce qui laisserait une liberté de choix aux patients.

« Le scénario de réforme le plus probable : un panier A géré par la Sécu, un panier B réservé aux Ocam »

Mais le scénario le plus facile politiquement, c’est un panier A géré par la Sécurité Sociale, avec un panier B, lui, réservé aux Ocam. Pourtant, cela pourrait favoriser un système de santé à 2 vitesses, avec un risque d’instabilité du contenu du panier A en fonction des orientations décidées par l’Elysée et le gouvernement.

Et cette place importante laissée aux Ocam ne mettra pas un terme à leur forte concurrence… Ni aux mouvements de fond déjà en cours, entre recul des mutuelles au profit des assurances, rachats ou fusions. Ainsi, plus on patientera, plus il sera difficile de réformer en profondeur face à des acteurs de plus en plus puissants.

Daniel Rosenweg

Daniel Rosenweg,
journaliste, spécialiste de l’économie de la santé