Plus d’un dirigeant de PME, commerçant ou artisan, sur 3 présente en 2020 un risque de burn-out, selon la dernière étude de l’Observatoire Amarok, qui s’intéresse à la santé des travailleurs non salariés. Charge mentale liée aux menaces qui ont plané toute l’année sur leur activité, surcroît de travail managérial et organisationnel, baisse d’activité… Les résultats de l’Insee révèlent une chute du moral des chefs d’entreprise au mois de novembre. Qu’en est-il pour vous opticiens, dirigeants de TPE ? Comment mieux prévenir les risques sanitaires encourus ?

Bien Vu a interviewé Olivier Torrès, enseignant-chercheur à l’université de Montpellier et au sein de Montpellier Business School, créateur de l’Observatoire Amarok.

Comment vous êtes-vous intéressé, en tant qu’économiste, à la santé des dirigeants de TPE-PME ?

99,80% des entreprises en France ont moins de 250 salariés. Elles représentent 60% des emplois salariés, hors statuts de la fonction publique. Elles sont donc la norme, si je puis dire. Sauf dans les théories économiques et de management, qui concernent la plupart du temps les grands groupes ou les ETI (entreprises de taille intermédiaire). Et, même, pour les économistes et spécialistes du management, l’employeur, et a fortiori sa santé, reste peu pris en compte.

« La santé du dirigeant est le premier actif immatériel des TPE »

Or, les TPE/PME survivent difficilement à un décès de leur patron, là où des géants comme Apple ou Total n’ont pas pâti de la mort de Steve Jobs ou de Christophe de Margerie ! Donc, d’une certaine manière, la santé du dirigeant est le premier actif immatériel des petites entreprises. C’est ce qui nous a incités à créer en 2009 l’Observatoire Amarok, afin d’étudier les attitudes et les comportements des dirigeants de PME, artisans et commerçants, à l’égard de leur condition physique et mentale, mais aussi celle de leurs salariés.

Comment se portent, globalement, les entrepreneurs ? Notamment les opticiens ?

Entreprendre, c’est bon pour la santé, notamment pour les opticiens. Pour cela plusieurs raisons : des marges brutes confortables, une vraie résistance économique face au Covid-19 et une évolution du métier qui va les amener à être de plus en plus considérés comme de « vrais » professionnels de la santé visuelle. Mais ils sont aussi, et avant tout, des patrons et comme leurs confrères et consœurs à la tête de PME/TPE, ils sont exposés au stress, à la surcharge de travail et à une certaine solitude… Toutefois, il s’agit de contraintes choisies et non subies. Et puis, les facteurs « salutogènes » tels que la maîtrise de son propre destin, la passion, les bons résultats commerciaux ou encore l’implication des équipes, permettent de vivre plus heureux, avec des objectifs concrets… Autant d’éléments qui compensent les facteurs anxiogènes comme les problèmes de trésorerie, les risques de dépôt de bilan, la baisse d’activité commerciale, les absences du personnel ou encore la démission d’un salarié.

« Les chefs d’entreprise vivent plus longtemps que les autres Français, et en meilleure santé »

La balance est en général positive, ce qui explique pourquoi les chefs d’entreprise vivent plus longtemps que les autres Français, et en meilleure santé. Tous nos travaux d’enquête le prouvent. Toutefois, la « variance » entre les facteurs positifs et anxiogènes est plus élevée que pour le reste de la population : quand il survient, le burn-out est donc plus intense. Et les cas de cancer parmi les entrepreneurs sont les plus avancés car ils ne prennent pas toujours le temps de se soigner. D’ailleurs, une de nos enquêtes récentes prouve que les patrons redoutaient davantage un impact du Covid-19 sur leur société que sur leur santé ! Leur rapport à leur société est existentiel.

Quelles sont les initiatives actuelles visant à mieux prendre en compte la santé des entrepreneurs ?

Pour l’instant, la loi n’impose pas aux services de santé au travail de prendre en compte les dirigeants. Mais la situation évolue grâce, notamment, au portail du « Rebond », qui regroupe des associations comme SOS Entrepreneur, Second Souffle, Re-Créer, Amarok. Mais attention : les modèles d’analyse actuels ont été conçus pour les salariés, et non pour les employeurs, qui font face à des problématiques particulières. C’est pour cela qu’Amarok a créé, avec le LabEx Entreprendre de Montpellier Management, une chaire consacrée aux dirigeants des TPE et PME. Et les réseaux consulaires, comme les CCI, les chambres de métier, les syndicats, etc., portent également ces thématiques… Ces corps intermédiaires, parfois considérés à tort par les entrepreneurs comme des « pertes de temps », sont au contraire très utiles au-delà des seuls enjeux business. Bref, si les patrons se sentent parfois seuls, ils ne le sont pas.

Olivier Torrès

Olivier Torrès,
enseignant-chercheur à l’université de Montpellier et au sein de Montpellier Business School, créateur de l’Observatoire Amarok.