L’essor des nouvelles technologies et la croissance des besoins de santé rendent inéluctable le développement de la télé-médecine et des télé-soins. Reste à savoir la place que peuvent occuper les opticiens dans la fluidification du parcours client/patient que ces pratiques entraînent. Et le rôle que pourrait y jouer les complémentaires santé.

Bien Vu a interrogé Pierre Simon, l’un des pionniers de la télé-médecine en France, fondateur de l’Association française de télé-médecine*.

Vous expérimentez la télé-médecine depuis 1995 déjà. Pensez-vous que son essor est aujourd’hui inévitable dans la structuration des parcours de soins ?

On ne va pas revenir en arrière en matière de télé-consultation car la demande de soins ne fait et ne fera qu’augmenter du fait de l’explosion des maladies chroniques. Nous allons assister à une reprogrammation nécessaire de l’organisation de notre système de soins. Le doublement des professions médicales, même dans une spécialité comme l’ophtalmologie, ne suffira pas à absorber la demande. Clairement, la structuration des parcours de soins va s’appuyer davantage sur ces outils.

En quoi la crise du Covid a-t-elle accéléré son développement ?

Je ne sais pas et ne suis pas sûr qu’elle ait accéléré quoi que ce soit. La télé-médecine a été certes très présente pendant la crise avec jusqu’à 1,5 million de consultations par semaine au mois avril. Mais la moitié des actes remboursés ont en réalité consisté en de simples échanges téléphoniques qui n’ont pas grand-chose à voir avec ce que l’on peut attendre d’une télé-consultation. On a d’ailleurs vu le nombre de ces actes chuter à partir de juillet…

« Nous allons assister à une reprogrammation nécessaire de l’organisation de notre système de soins avec la télé-médecine »

Quel rôle peuvent jouer les opticiens dans de telles pratiques de soins innovantes ?

Les opticiens sont des professionnels qui ont tout à gagner de l’essor de ces technologies. Le récent rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) le dit bien en soulignant le déficit annoncé de professionnels de l’ophtalmologie et la nécessité de développer la pratique de télé-soins chez les opticiens. Il va dans le bon sens.
Reste à savoir sur quels types d’actes les opticiens peuvent se positionner. Le télé-soin est le plus évident, dans la mesure où télé-expertise et télé-consultations restent réservés aux professionnels médicaux. L’Assurance maladie a autorisé certains paramédicaux comme les infirmiers ou bientôt les kinés à prendre part à des consultations de télé-médecine en appui, mais cette pratique demeure limitée.

« Le récent rapport de l’Igas ouvre des pistes pour le développement du télé-soin chez les opticiens et va dans le bon sens »

En revanche, le télé-soin représente une vraie opportunité d’étendre les compétences propres des opticiens. Les cas d’usages restent à définir et les collaborations nombreuses demeurent à explorer et défricher avec les orthoptistes (à travers notamment le partage d’outils d’examens à distance). Mais l’opticien pourra pleinement intégrer ces actes à sa pratique. A charge pour lui de se former.

Le développement de ces pratiques peut-il aussi aider à orienter dès le point de vente les patients vers les prises en charge les plus adaptées ?

La télé-médecine fluidifie le parcours de soins, mais elle n’en change pas les règles. L’arbitre sera toujours médical même si opticiens et orthoptistes peuvent représenter des briques supplémentaires dans l’orientation et la prise en charge. Si le trouble visuel est lié à une maladie chronique, cela passe par un médecin et un diagnostic concerté.

« L’arbitre dans le parcours de soins sera toujours médical, même si opticiens et orthoptistes peuvent constituer des briques supplémentaires dans l’orientation et la prise en charge »

Le développement de cabines de télé-expertise chez les pharmaciens aujourd’hui, chez les opticiens demain, vous semble-t-il une initiative intéressante ? Et l’appui des complémentaires santé à ces initiatives est-il souhaitable ?

Cela me paraît surtout une initiative coûteuse. Une cabine de ce type coûte 80 000 € en moyenne. C’est la Rolls Royce de la télé-médecine, mais qui peut se la payer et surtout qui peut la rentabiliser ? L’Assurance maladie a raison de juger avec défiance le remboursement de ce type d’équipement dont le modèle économique n’est pas stabilisé. Quant aux Ocam, ils sont friands de télé-consultations, qui concernent 10 à 12 millions de leurs bénéficiaires, mais il ne faut pas que cela devienne une pratique concurrentielle excluante. L’accès élargi aux soins reste la mission première de ces technologies et l’implication des complémentaires devrait se faire dans le cadre d’un accord global avec l’Assurance Maladie.

* Pierre Simon est également auteur de plusieurs rapports sur le sujet et pilote le site www.telemedaction.org.

Télé-consultation, télé-expertise, télé-soin, comment s’y retrouver ?


  • La télé-consultation désigne la consultation à distance entre un médecin et un patient. Le médecin peut être assisté par un professionnel de santé. Elle est remboursée par l’Assurance maladie depuis 2018.
  • La télé-expertise consiste pour un médecin à solliciter l’avis d’un confrère face à une situation médicale donnée.
  • Le télé-soin a été introduit par la loi de 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. Elle met en rapport un patient avec un professionnel de santé, auxiliaire médical.
Pierre Simon

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