Une politique des prix repensée en optique, valorisant de nouvelles dynamiques d’abonnement, pourrait bien être une clé de la compétitivité du retail après-Covid.

Bien Vu a interrogé David Vidal, Partner, et Clara Soppo-Priso, Senior Director au sein du cabinet Simon-Kucher.

L’étude que vous avez menée en début d’année sur les stratégies de prix dans l’optique* éclaire les limites des modèles actuels de relation client dans le secteur. Quels sont-elles selon vous ?

Clara Soppo-Priso : En France, contrairement à d’autres pays, la relation client reste largement animée par des promotions à répétition et des offres pléthoriques. Certes, cette approche engendre toujours plus de choix. Néanmoins, parce qu’elle noie le porteur dans une profusion de marques et de prix, il lui devient difficile d’appréhender la valeur réelle des produits proposés et achetés. Or, c’est autour de cette valeur que se construit désormais la relation client. 30% des porteurs que l’on a interrogés se plaignent du manque de lisibilité des offres en magasins d’optique. Et 70% ne retiennent au final de leur achat… que le prix qu’ils ont eu à payer !

« De nouveaux acteurs veulent consolider la relation client autour d’un juste prix »

David Vidal : Dans certains pays comme les Etats-Unis ou dans d’autres secteurs, apparaissent de nouveaux acteurs qui modifient ce modèle et souhaitent consolider leur relation client autour d’un « juste prix » avec des offres davantage lisibles et des approches tarifaires plus transparentes. Sur les sites web des enseignes traditionnelles, vous avez aujourd’hui en moyenne plus de 400 références de montures, contre 31 pour un acteur comme Jimmy Fairly.  Aux Etats-Unis, Warby Parker est le pionnier en la matière : plus que l’offre, c’est la fluidification de la relation client qui prime.

En quoi la crise actuelle accentue cette tendance et conduit-elle à penser différemment les stratégies de prix ?

CSP : L’environnement concurrentiel va évoluer avec, peut-être, à la clé une guerre tarifaire agressive pour compenser le manque à gagner de la crise. Or qu’en est-il de la relation client dans cette logique de course aux promotions ? Ces modèles de « pricing », on le voit bien, peuvent aider à capter des clients, mais ils peinent à les fidéliser.

« Le confinement a remis en avant les valeurs de proximité et de confiance »

DV : A l’inverse, ce temps de confinement a justement remis en avant des notions de proximité et de confiance dans le commerce. Sur lesquelles la relation client peut s’appuyer. Avec plus de transparence dans l’offre, plus de services en magasin, il est possible d’attirer mais aussi de fidéliser des clients dont les flux seront de toute façon limités en magasin du fait des mesures de distanciation sociale.

L’une des pistes que vous analysez est celle des systèmes d’abonnement. En quoi sont-ils particulièrement pertinents ?

DV : Parce qu’ils répondent à l’un des enjeux clés aujourd’hui, celui de la variété et de la créativité dans les modèles de prix et de promotions pratiqués. Les démarches d’abonnement fondent leur logique de prix sur le principe même de la relation client. Il ne s’agit pas d’étaler simplement le prix de vente dans le temps, mais de lui adjoindre des services associés (de réservations, d’examens de vue…) et des modulations tarifaires comme des tarifications à l’usage ou des prix d’abonnement progressifs. Dans certains secteurs, on voit se développer des modèles innovants articulés autour d’une structure « good better best » proposant une offre d’entrée moins disant de services de base que le client « upgrade » librement, ajoutant au fil du temps des options.

« Les démarches d’abonnement fondent leur logique de prix sur le principe même de la relation client »

CSP : La démarche d’abonnement représente aussi un modèle de résilience pour les magasins dans cette période tendue. Elle permet d’anticiper les chiffres d’affaires et d’asseoir ses prévisions d’activité sur des bases consolidées et des trésoreries plus dynamiques. C’est comme cela que se construit aujourd’hui le modèle économique de la plupart des plateformes en ligne comme Netflix ou Amazon Prime qui capitalisent sur des politiques d’abonnements très avancées.

Un tel système est-il vraiment adaptable à un secteur comme l’optique où les prix sont en partie fixés au sein de l’offre 100% Santé ?

DV : Bien sûr, la régulation n’est ni un obstacle ni une excuse en matière de pricing. La régulation ne doit pas provoquer des modèles de rétention de valeur et de sous-performance. Les démarches d’abonnement permettent justement de reprendre la main sur des politiques de pricing qui se retrouvent souvent complexifiées et déléguées par les réglementations imposées.

CSP : En optique, on peut tout à fait développer de telles démarches, sur le segment des lentilles notamment où le renouvellement s’accorde facilement à un principe d’abonnement. Ou encore pour l’examen de vue, une véritable plus-value en matière de services pour de telles offres.

*« Quelle stratégie de prix pour les opticiens dans le contexte de la réforme 100% Santé ? » Etude menée par le cabinet Simon-Kucher auprès de 1 000 répondants réalisée en janvier 2020.

Clara Soppo-Priso

David Vidal