Les magasins physiques vont devoir, pour un certain temps, intégrer un nouveau cahier des charges fondé sur la distanciation et la gestion parcimonieuse du flux client en magasin. Si ces conditions mettent à mal l’expérience client, avantage incontestable des points de vente physique face au e-commerce, elles sont également l’occasion de réinventer la relation avec les clients selon des nouveaux modèles.

De l’expérience client au « parcours du combattant »

Avec la crise sanitaire dont nous ne sortons que progressivement, comment concilier les 2 fondamentaux du commerce désormais, proximité et distanciation sociale ?

« Depuis quelques années, ce qui sauve les magasins physiques face à l’inéluctable progression du e-commerce, c’est la fameuse expérience client », affirme Christian De Bergh, directeur du design et associé de l’agence Babel, spécialisée dans le design et l’architecture du retail. « Or avec la crise du Covid, on est entré dans une logique de parcours du combattant : comment vivre une expérience client riche alors que le contact, la relation personnalisée sont devenus anxiogènes, qu’il est impossible de mixer profusion de produits et de consommateurs ? Comment mettre en avant les avantages du magasin physique, quand la dimension émotionnelle est vécue comme une contrainte à limiter le plus possible ? ».

« Avec la crise du Covid, le contact, la relation personnalisée, atout indiscutable du retail physique, sont vécus comme anxiogènes »

Une dégradation de l’expérience d’achat confirmée par la dernière étude de l’Obsoco* : on assiste à un retour « mesuré » vers le commerce physique. 5% seulement des consommateurs ont fréquenté un magasin physique « pour retrouver le plaisir de consommer en point de vente » depuis mai. « Cette crise va structurer le retail de l’avenir. La seule solution à terme, c’est le phygital. Le magasin ne peut plus être qu’un des éléments du parcours client », analyse Christian De Bergh.

Vers une nouvelle relation client-opticien post-Covid ?

Parallèlement, selon Philippe Moati, co-fondateur de l’Obsoco, professeur d’économie à l’université de Paris-Diderot, « les enquêtes de conjoncture notent un mouvement massif vers le commerce de proximité. Mais quand on demande aux gens pourquoi ils privilégient ces commerces, la plupart mentionnent le fait que « c’est plus facile, et plus sûr » sanitairement parlant ». Une tendance dont bénéficient les magasins d’optique de centre-ville depuis la reprise d’activité. Face à ces mouvements contradictoires, distanciation et besoin de proximité tout comme de relation plus personnelle, quels sont les éléments qui pourraient recomposer la relation client-opticien post-Covid et augmenter la fidélisation des porteurs ?

Les pistes à suivre

  • Le rendez-vous. La grande majorité des magasins d’optique ont mis en place un système de prise de rendez-vous depuis mai. Conçu comme une contrainte nécessaire en phase de déconfinement, il est une opportunité d’améliorer le parcours client et peut être la première brique d’une transformation en profondeur. Peu de commerces fonctionnent sur rendez-vous, alors que c’est la règle dans le domaine de la santé et des activités para-médicales : ceux qui le pratiquent ont tous trait au soin de la personne (coiffure, esthétique, bien-être). L’optique, à la jonction de ces 2 domaines, santé et soin de la personne, a peut-être là l’occasion de reconfigurer sa relation avec son client et son image auprès de lui. « Dans le rendez-vous, il y a cette idée de nouvelle proximité et de lien à construire », souligne Christian De Bergh. « L’acte d’achat se décompose entre choix du produit, recherche des besoins, conseil et examen de vue. La visite en magasin devient un moment unique de relation personnalisée. »
  • Le développement des services. « Le commerce physique doit basculer vers une approche de services non marchands », analyse David Royer, consulting director chez Comarch. Pendant le confinement, des expériences de livraison à domicile, de click and collect, de réservation de produits avant essai en magasin se sont développées. Expérimenté depuis quelques années par des enseignes et centrales (dont Krys depuis 2017 et le Groupe All), le système d’assurance de l’équipement pendant 2 ans s’inscrit dans cette même approche servicielle : au-delà d’un bon à valoir sur le prochain achat, il décline toute une panoplie de services, contrôle annuel de la vue, équipement de remplacement en cas d’incident, mise à disposition de lentilles d’essai, etc. Ce modèle de fidélisation des porteurs qui multiplie la fréquence des contacts pendant 2 ans, tout en limitant le temps passé à chaque fois en magasin, prend tout son sens dans le contexte actuel.
  • L’abonnement, pourquoi pas ? L’assurance repose sur une logique d’étalement des prix de vente dans le temps. Ce que propose également l’abonnement, selon le modèle de la téléphonie ou celui sur lequel se développent de manière exponentielle les plateformes en ligne, Netflix, Deezer, Amazon, etc. Pour le moment, c’est une piste peu creusée en optique. Hormis pour la contactologie. Elle fait pourtant son chemin chez les porteurs, désormais habitués à ce mode de consommation dans d’autres secteurs. Selon le Baromètre exclusif Galilleo Business Consulting-Bien Vu 2018, 38% des porteurs de lentilles sont ouverts à un système d’abonnement pour leur équipement en contactologie. Et pourquoi pas pour les lunettes ? Selon une formule qui permettrait non seulement au client de changer d’équipement sans attendre 2 ans pour une nouvelle prise en charge, mais aussi de bénéficier de réductions sur un produit complémentaire, de services personnalisés (prêt en cas d’urgence, contrôle de la vue, conseils prévention, avant-première de collection, etc.).

Comment le retail s’adapte aux nouvelles contraintes

  • Les visites sur rendez-vous. Alternatives aux mesures de distanciation, les visites sur rendez-vous se multiplient dans tous les secteurs du retail. Orange les a intégrées dans l’ensemble de son réseau. Aux Etats-Unis, Lacoste va jusqu’à proposer une privatisation de points de vente pour ses clients VIP et Les Galeries Lafayette ont mis en place un service de personal shopper qui réalise les achats à distance pour le client par vidéo.
  • La vente par réseaux sociaux. Une tendance forte qui relaie et prolonge les nouveaux usages numériques issus du confinement. A l’image de la marque française Bata qui a lancé une fonctionnalité « Shopping » sur WhatsApp via son site Bata Club. Les clients peuvent y consulter les catalogues en ligne et avoir une conversation vidéo avec le gérant d’un magasin près de chez eux. En Chine, la grande surface Intime diffuse via les réseaux sociaux 200 vidéos par jour réalisés par les vendeurs des différentes marques !
  • Les bornes numériques. La chaîne britannique de produits santé, optique et beauté, Boots a développé dans son flagship de Londres un comptoir virtuel dans lequel les clients peuvent réaliser des achats express : consultation des catalogues, achats en ligne, appel à un vendeur ou essais de produits s’articulent autour de ce nouveau type de service.
  • Le sans contact. Les systèmes de « scan-as-you-go » se déploient dans le retail à grande vitesse, à l’image de Décathlon qui a mis en place dans ses 81 magasins allemands un dispositif de « self check-out » permettant de numériser et payer des articles à l’aide de son smartphone, les puces RFID étant automatiquement désactivées à distance à l’achat.

*Abstract 9 du 8 juin 2020 de l’enquête menée par l’Obsoco depuis mars 2020 auprès de 1 000 personnes représentatives de la population française âgée de 18 à 75 ans.

Christian De Bergh

Philippe Moati