Selon le Snof (Syndicat national des ophtalmologistes de France), un nombre croissant d’ophtalmologistes juge inutile et inefficace la pratique du renouvellement d’équipements directement chez l’opticien. En cause : le manque d’échanges lors de ces renouvellements et l’insuffisance de la formation des opticiens. Côté patients, l’ophtalmologiste reste un passage obligé.

Le Snof (Syndicat national des ophtalmologistes de France) a mené en mai-juin 2022 une enquête auprès de ses adhérents et d’un millier de patients pour évaluer leur perception du renouvellement (avec adaptation ou non) des équipements par les opticiens sur la base d’une ordonnance valide (comme prévu par les décrets Opticiens de 2007 et de 2016)*.

Une confiance « dégradée » chez les ophtalmologistes

Pour le syndicat, la défiance des ophtalmologistes envers cette délégation de tâches s’est considérablement accrue entre 2019 (publication d’une première enquête similaire) et 2022 : si, en 2019, 81% estimaient cette pratique bonne et utile, ils ne sont plus que 41% en 2022. 45% la jugent inutile, inefficace, voire risquée pour les patients. Et 25% souhaitent que le volume de renouvellement chez l’opticien diminue (contre 14% en 2019).

Une confiance « dégradée » chez les ophtalmologistes

Source : Enquête Snof

Raison principale de cette méfiance, selon le Snof : les opticiens, quand ils pratiquent le renouvellement, n’en informent pas l’ophtalmologiste. 82% des répondants de l’enquête reçoivent moins de 11 messages d’opticiens par trimestre : « Or, si on part de l’hypothèse d’un peu plus d’un million de renouvellements avec adaptation par an chez les opticiens, une soixantaine de patients par trimestre et par ophtalmologiste devraient faire l’objet d’un échange entre les 2 professionnels. La très grande majorité des opticiens ne joue pas le jeu », commente Thierry Bour, président du Snof. La mise en place progressive de l’Espace numérique de santé et de la messagerie sécurisée devrait améliorer cette situation. Mais, de leur côté, 42% des ophtalmologistes seulement ne s’opposent jamais sur leur ordonnance au renouvellement chez l’opticien (contre 49% en 2019).

« Selon le Snof, le retour d’information vers l’ophtalmologiste en cas de renouvellement chez l’opticien se fait dans une minorité de cas seulement. Ce qui est inquiétant et explique que la confiance des ophtalmologistes se dégrade »

Des opticiens et des orthoptistes peu formés ?

Autre raison invoquée pour expliquer leur défiance : l’insuffisante formation des opticiens. 60% des ophtalmologistes estiment que ces derniers ne sont pas assez formés pour pratiquer le renouvellement avec éventuelle adaptation (contre 42% en 2019). Ce jugement englobe également les orthoptistes : pour 61% des ophtalmologistes ayant répondu à l’enquête, leur formation reste aussi insuffisante pour pratiquer le renouvellement d’équipement (ce qu’ils peuvent faire depuis avril 2020).

Des patients informés… mais qui continuent de privilégier le passage chez l’ophtalmologiste

Alors côté patients, qu’en est-il ? Selon l’enquête du Snof, pour toutes les classes d’âge, l’information sur le dispositif de renouvellement directement chez l’opticien est passée, particulièrement dans les Pays-de-Loire, le Grand-Est et les Hauts-de-France : 76% des patients interrogés le connaissent, ayant été renseignés par leur opticien ou leur ophtalmologiste. Et pourtant, 8 patients sur 10, y compris dans les zones où les délais de rendez-vous excèdent 46 jours, préfèrent consulter à chaque fois un ophtalmologiste avant de renouveler leur équipement, même si leur ordonnance est encore valide.

Des patients informés… mais qui continuent de privilégier le passage chez l’ophtalmologiste

Source : Enquête Snof

2,4 millions d’équipements renouvelés chez l’opticien

En conséquence, le taux de renouvellement directement chez l’opticien reste stable depuis 2019, selon l’enquête du Snof. La crise sanitaire n’y a rien changé : 12% des patients interrogés ont renouvelé leurs équipements sans passer par un ophtalmologiste (contre 11% en 2019). « Cela correspond à 2,4 millions de lunettes », souligne Thierry Bour. Un pourcentage inférieur aux derniers chiffres d’avril 2022 recueillis par Xerfi Specific : la proportion de verres médicaux vendus dans le cadre d’un renouvellement directement chez l’opticien représente 17% des ventes de verres.

Matière à convergence au-delà du contexte actuel ?

Le contexte apparaît donc pour le moins tendu du côté des ophtalmologistes. L’autorisation de primo-prescription aux orthoptistes consécutive à la Loi de finances de la Sécurité sociale 2022 et effective probablement à l’automne a manifestement renforcé la défiance de certains ophtalmologistes. Du point de vue du Snof, seul moyen de rétablir une forme de confiance et, donc, d’étendre le dispositif de renouvellement des équipements en magasin : définir des règles professionnelles pour les opticiens et les orthoptistes et réformer la formation en optique en renforçant l’enseignement de la réfraction. Or ces chantiers prioritaires font justement partie des propositions faites dans le Livre blanc du CIO (Conseil interprofessionnel de l’optique). Celui-ci préconise, en effet, de mettre en place une licence de santé visuelle avec un plus grand lien entre les compétences et des stages renforcés. Autre proposition :  définir rapidement des règles professionnelles pour les opticiens ainsi que leurs modalités de contrôle. Il existe des points de convergence, donc, entre les 3 « O » pour œuvrer ensemble à une meilleure coopération. Il n’en reste pas moins que, selon le Snof, « pour 92% des praticiens, toutes générations confondues, la prescription des équipements par l’ophtalmologiste reste un élément central du métier ».

*Enquête menée par questionnaire en ligne du 25 mai au 14 juin 2022. 525 répondants ophtalmologistes répartis sur 89 départements. Echantillon représentatif des ophtalmologistes libéraux, 63% de plus de 50 ans, 37% de moins de 50 ans. 1 170 patients via un questionnaire anonyme remis en main propre dans les cabinets libéraux du 25 mai au 2 juillet.