En marge des rencontres BeOpticien du 17 mai, la rédaction du magazine Bien Vu s’est interrogée sur la manière dont le secteur peut résoudre les difficultés de recrutement subies par les magasins d’optique. Comment faire « matcher » aspirations des candidats et attentes des employeurs ? Éléments de réponse avec Marie-Dominique Gasnier, rédactrice en chef et Stéphane Corfias, propriétaire de cinq points de vente en Gironde.

Depuis une dizaine d’années, les magasins d’optique connaissent des difficultés à recruter des opticiens diplômés. Face à ce constat, Bien Vu a lancé BeOpticien, une plateforme visant à aider les candidats à trouver l’entreprise qui leur convient. Des contenus ressources humaines viennent renforcer ce dispositif, dont une plénière diffusée en live le 17 mai, sur le sujet suivant : Aspirations des candidats, attentes des recruteurs : comment les « matcher ». A ce sujet, la rédaction de Bien Vu a présenté les résultats d’une enquête annuelle (menée tous les ans depuis 2010) sur le marché de l’emploi côté emplyeur et sur les aspirations des jeunes diplômés. Voici les temps forts de cette présentation.

Une nette baisse des diplômés avec une érosion continue depuis 2016

Premier enseignement : une pénurie de diplômés, qui plus est durable. « Nous sommes passés de 2480 diplômés en 2011, à 1646 en 2019… 2020 est une année à part avec une légère remontée due au Covid-19 », explique Marie-Dominique Gasnier, rédactrice en chef. Par ailleurs, ces difficultés sont renforcées par un double phénomène : si les employeurs recrutent majoritairement (60%) au niveau BTS OL, 70% des jeunes titulaires d’un BTS OL poursuivent leurs études… Certes en licence pro alternance, donc en partie en magasin, mais, au final, « seul un quart entre sur le marché du travail une fois le diplôme en poche », continue la journaliste.

Lors de votre dernier recrutement, quel type de diplômé(e) avez-vous embauché ?

Par ailleurs, le métier est en perte d’attractivité : le nombre de candidats au BTS OL a chuté de 33% entre 2011 et 2020, passant progressivement de 3 730 à 2 495. « Près de 25% des diplômés expriment leur souhait de travailler à court terme dans l’industrie ou chez un ophtalmologiste », ajoute Marie-Dominique Gasnier.

Evolution 2011-2020 des candidats et diplômés BTS-OL

Une situation confirmée par Stéphane Corfias, opticien propriétaire de 5 magasins en Gironde, qui, malgré le positionnement de ses points de vente – offre premium, sans réseaux de soins, environnement de travail agréable, possibilités de formations – se heurte aux mêmes difficultés pour séduire les candidats.

Des carences qui peuvent constituer un frein au recrutement

Par ailleurs, l’enquête de Bien Vu révèle qu’au manque de CV, s’ajoutent des compétences parfois insuffisantes chez les jeunes diplômés BTS OL. C’est du moins l’avis des recruteurs. « Quand on les interroge sur les manques dans la formation actuelle des BTS-OL, les opticiens employeurs pointent peu les insuffisances en examen de vue (15%). En revanche, 36% constatent un faible apprentissage en matière de vente et relation client et 30% des carences en contactologie », poursuit Marie-Dominique Gasnier. Dans le détail, les points de vente attendent du candidat un « sens de l’accompagnement client, de l’autonomie, des facultés d’adaptation… Bref, les “soft skills”, ce que l’on appelle en français le savoir-être », continue la rédactrice en chef.

Selon vous, quelle compétence manque le plus dans le cursus du BTS-OL

Une analyse confirmée par Stéphane Corfias. « Le savoir-être, c’est essentiel ; la technique, ça vient avec le temps… Ce que l’on cherche surtout, ce sont des qualités humaines, relationnelles. Les candidats doivent avoir des valeurs compatibles avec celles du métier et de l’entreprise », poursuit l’opticien, qui ne s’inquiète pas d’une possible dégradation des enseignements en raison de la situation sanitaire complexe de cette dernière année et demi.

A compétence égale, à quelle(s) qualité(s)  êtes-vous le plus sensible lors de l'embauche d'un(e) nouveau/nouvelle salarié(e)

Des candidats, eux aussi, en attente d’humanité et d’empathie…

Comme les recruteurs, les candidats ont des attentes bien particulières en termes de relationnel. Ainsi, à la question « pourquoi répondre à cette offre d’emploi plutôt qu’à une autre », les candidats répondent avant tout pour l’ambiance, l’esprit d’équipe, la capacité de dialogue du dirigeant… Autrement dit, tout ce qui touche à l’épanouissement au travail.

Quel est votre critère principal de sélection au moment de répondre à une offre d'emploi ?

« Selon le sociologue Daniel Ollivier, 80% des moins de 25 ans cherchent dans le travail une source d’épanouissement. Le salaire passe au second plan. Dans notre enquête, jamais le temps de travail et la politique commerciale du point de vente n’ont été cités comme critères de sélection », précise Marie-Dominique Gasnier. Ce qui amène Stéphane Corfias à constater que les jeunes générations veulent « réussir leur vie », là où la sienne – il a 54 ans – cherchait à « réussir dans la vie »… Sans y voir une situation insurmontable, les magasins sachant « moduler leur management en fonction de ces sensibilités », poursuit le dirigeant.

… Mais c’est bien le consommateur qui décide du métier

C’est le grand enseignement de l’enquête de Bien Vu : le point d’achoppement entre candidats et employeurs tourne autour de la vision du métier. « On note un décalage entre les aspirations des candidats et les attentes des recruteurs. Pour 40% des jeunes diplômés, le cœur de leur futur emploi, c’est la réfraction. A l’inverse, la dimension commerciale passe au second plan et l’aspect entrepreneurial, financier ou managérial, les intéresse de moins en moins depuis 2010 », constate Marie-Dominique Gasnier.
« Il y a une incompréhension car ce ne sont pas les acteurs qui décident du métier mais les consommateurs, qui ont besoin de lunettes. On ne peut mener ces réfractions que si l’on vend ! À partir du moment où on l’accepte, être opticien est passionnant puisqu’il touche à la santé, à la vente, à la technique mais aussi à la personnalité des gens », affirme Stéphane Corfias, selon lequel un effort de communication devra être mené pour que les besoins du poste soient mieux expliqués aux futurs diplômés.

Quel aspect du métier préférez-vous le plus ?

Pour autant, l’évolution du métier vers plus de santé visuelle, et plus de prérogatives pour les opticiens, pourrait faciliter les desseins des recruteurs et participer à contenter les candidats. « Selon notre enquête, les étudiants ont anticipé ces évolutions. D’ici fin 2022, tous les travaux qui sont dans les tuyaux (rapport Igas, réforme de la formation) devraient le transformer, avec une formation à niveau bac +3 et une dimension santé accrue », poursuit Marie-Dominique Gasnier. Qui conclut : « la réforme de la formation est l’occasion pour la profession de dire ce dont elle a besoin en magasin en termes de compétences. Et de donner aux étudiants en optique une vision réaliste de ce métier intéressant, dont les nombreuses facettes en font une profession d’avenir ».