La réforme 100% Santé est désormais entrée pleinement en vigueur sur les 3 secteurs concernés (optique, audio, dentaire). Quel est son effet mesurable ? Si en dentaire et en audio, elle semble avoir trouvé sa cible et amélioré l’accès aux équipements, en optique, les taux de recours à l’offre 100% Santé reste en deçà des projections faites, en particulier par le ministère de la Santé. A défaut d’avoir un fort impact sur le marché, la réforme rate-t-elle son objectif, en l’occurrence améliorer l’accès des Français aux équipements optiques ?

Depuis le 1er mars, les communications sur les chiffres du 100 % santé se multiplient.

  • 14% en verres, 12% en montures, selon la DSS (Direction de la Sécurité sociale) qui avait publié fin décembre 2020 un pourcentage de 10% des volumes vendus.
  • A peine plus de 6% au sein de son réseau, selon Santéclair, et 10% hors réseau, sachant que le réseau de soins a dans son portefeuille très peu de bénéficiaires C2S (ex-CMU).
  • Ce qui correspond à peu près aux résultats donnés par Carte Blanche Partenaires en novembre 2020 (entre 6 et 7% paniers A et mixtes).
  • De son côté, le Rof (Rassemblement des opticiens de France) maintient son taux à 18% (soit 2,5 millions d’équipements, y compris délivrés aux C2S).

Quoi qu’il en soit, comparés aux chiffres donnés pour l’audio (48% hors réseau et 28% en réseau pour Santéclair, plus de 35% selon le Snitem) et le dentaire (53% pour la DSS), ces évaluations laissent entendre que la réforme ne « prend » pas en optique.

« Comparaison n’est pas raison »

« Il est inutile de comparer les 3 secteurs concernés par la réforme. La mise en place a été différente et surtout, en optique, le renoncement aux soins est peu lié aux difficultés financières, ce qui n’est pas le cas en audio et en dentaire », souligne André Balbi, président du Rof (Rassemblement des opticiens de France). Même approche chez Alain Gerbel, président de la Fnof (Fédération nationale des opticiens de France) : « Il est normal que, compte tenu des « reste à charge » hier très importants en dentaire et en audio, cette mesure fonctionne bien sur ces 2 secteurs. »

« La dépense optique était prise en charge à 70% par les Ocam avant même la réforme. Et le marché sans reste à charge existait déjà. Ce qui n’est pas le cas pour l’audio et le dentaire »

Marianne Binst, directrice générale de Santéclair n’est pas loin d’avoir la même analyse : « En audio et dentaire, on rencontrait un vrai problème de renoncement aux soins et la réforme a atteint son but. En revanche, en optique, difficile de comprendre la finalité de la réforme puisqu’il y avait déjà des offres du type panier A, voire encore moins chères. » Ajoutons à cela que la dépense optique était prise en charge avant la réforme à plus de 70% par l’AMO et les Ocam. Pour preuve, la mise en place du 100% Santé a occasionné un « boom » sur l’équipement en audio (+44% en 2 mois). Pas d’augmentation de volumes, en revanche, en optique en 2020 (année particulière avec 2 mois d’arrêt quasi-total de l’activité). Pour rappel, l’institut Xerfi avait évalué à +4% en volume les effets de la réforme, dans son étude d’impact réalisée en 2019*.

Une réforme mal taillée qui n’aurait pas trouvé son public ?

Ce n’est pas l’avis du Rof : « Un taux de 18% est une réelle réussite, preuve que les paniers de soins co-définis par la profession ont trouvé leur public, ce qui est une excellente nouvelle ! Le 100% Santé représente une amélioration qualitative pour tous les petits contrats. C’est 500 000 personnes qui auraient renoncé aux soins sans le 100% Santé et qui ont pu, en 2020, s’équiper d’une lunette sans reste à charge », commente André Balbi.

« Réelle amélioration qualitative pour une partie des porteurs ou réforme mal positionnée par rapport aux besoins, le débat reste ouvert »

Pour Alain Gerbel, au contraire, « le gros problème du « 100% » en général est qu’il est perçu comme une mesure à caractère social, bas de gamme, et non pas comme une mesure nationale accessible à tous. Un des dispositifs qui doit être supprimé est cette obligation d’avoir un présentoir pour les lunettes 100% santé. C’est une mesure insultante pour les opticiens et stigmatisante pour le consommateur.»

Une offre 100% Santé mal positionnée de surcroît et qui « rate » en partie sa cible : « Il faut revoir le positionnement des montures, en autorisant un dépassement (jusqu’à 100€), et celui des verres. Pour une majorité des clients panier A, l’antireflet est inutile, l’offre en progressifs ne répond pas aux besoins d’une partie des retraités », pointe Alain Gerbel. Sans compter que les plus précaires (sans complémentaire santé, avec l’Aide médicale d’Etat ou sans couverture sociale) restent exclus.

Une responsabilité des opticiens ?

« C’est une petite musique qui est entretenue depuis la fin 2020 », réagit André Balbi. Au minimum, les pouvoirs publics parlent d’un travail « nécessaire d’appropriation de la réforme par les opticiens ». Dans ce cadre, les contrôles menés en clients mystère par la DGCCRF (700 aux dires de la Fnof) se multiplient pour vérifier le respect du 100% Santé et du double devis.

« Les opticiens ne peuvent être tenus pour responsable des ‘mauvais’ chiffres du 100% Santé »

« Or, les opticiens ont fait le job », poursuit André Balbi. « Avec un taux de délivrance aux alentours de 18%, tandis que le ministère de la Santé en attendait officieusement entre 15 et 20%, ils ont ainsi parfaitement rempli leur mission.» De son côté, Alain Gerbel s’insurge : « Les opticiens ne doivent pas être tenus pour responsables du mauvais démarrage du « 100% Santé » en optique. »

Une deuxième étape de la réforme toujours en attente

Sur un point, les 2 syndicats, Rof et Fnof, s’accordent : en optique, le renoncement aux soins n’est pas dû aux prix des équipements mais aux délais de rendez-vous chez les ophtalmologistes. « Cette réforme du 100% Santé devait révolutionner l’accès aux soins, comme s’y était engagé le Président de la République », rappelle André Balbi. « Or le ministère de la Santé entretient le plus grand des silences sur ses intentions à ce sujet.»

« Une réforme qui n’atteindra son objectif qu’en cas de réorganisation de la filière comme le préconise le rapport Igas »

Pour Alain Gerbel, « la question centrale du renoncement à l’équipement, ce sont les files d’attente devant les cabinets médicaux. Si on veut régler ces problèmes d’accès aux soins, il faut que les opticiens puissent prescrire les équipements en primo-délivrance pour toutes les personnes âgées de 16 à 42 ans. »

Une proposition figurant dans le rapport Igas publié en septembre dernier qui reste pour l’instant lettre morte.

* L’impact de la réforme du 100% Santé en optique, étude menée par Xerfi, février 2019

André Balbi

André Balbi,
président du Rof (Rassemblement des opticiens de France)

Marianne Binst

Marianne Binst,
directrice générale de Santéclair

Alain Gerbel

Alain Gerbel,
président de la Fnof (Fédération nationale des opticiens de France)

Optique : la réforme 100% Santé en chiffres

 

  • De 6,5% à 18% des équipements vendus appartiennent aux paniers A et mixte, selon les différentes sources

  • Prix moyens des équipements 100% Santé délivrés : 142€ UF et progressifs confondus (108€ pour les équipements UF, 210€ pour les progressifs)

  • Respect des prix limites de vente en panier A : 0,2% d’erreurs constatées par la Cnam en 2020

  • Baisse des remboursements : -9% selon la FNMF (Fédération nationale de la Mutualité française) et 8 millions de RAC supplémentaires sur le marché libre (source Carte Blanche Partenaires)