En 2020, les habitudes d’achat en optique des consommateurs ont-elles évolué ? On pourrait le penser au regard de la mise en place du 100% Santé en janvier dernier et des changements induits par la crise sanitaire sur les comportements de consommation en général. Or, selon l’Observatoire de l’optique 2020 du cabinet d’études Gallileo Business Consulting*, les habitudes des porteurs et leur relation à leur opticien ont peu changé ces derniers mois et consolident l’importance de la dimension santé de l’optique.

Bien Vu a interviewé Maher Kassab, fondateur et pdg de Gallileo Business Consulting.

Vous venez de réaliser une étude sur les comportements des consommateurs en optique en 2020. Quelles en sont les thématiques principales ?

Nous réalisons chaque année depuis 10 ans, à destination des industriels et des enseignes qui y souscrivent, une enquête en interrogeant plus de 4 000 porteurs de lunettes et de lentilles. Aux thèmes annuels récurrents (fréquence et motivation d’achat, positionnement prix, fidélité des porteurs, critères de choix d’un magasin, attentes des porteurs quant au choix des montures…), nous ajoutons en 2020 de nouvelles thématiques liées à la période et relatives à l’examen de vue chez l’opticien, l’impact des masques, etc. Par ailleurs, nous avons évalué la place du digital dans notre secteur.

Alors qu’on mesure déjà l’impact de la crise sanitaire sur les modes de consommation, votre Observatoire 2020 révèle que les habitudes des consommateurs en optique évoluent peu…

Effectivement, et c’est un premier enseignement important : on note peu de changement dans leurs comportements. Avec une fréquence tous les 3 ans, stable depuis plusieurs années, l’achat optique reste bien orchestré et pris en charge : les remboursements par les Ocam représentent plus de 70% et le reste à charge moyen demeure faible. Même stabilité concernant le prix moyen des équipements qui ont même progressé pour les unifocaux : il s’élève à 304€ pour les équipements unifocaux et 551€ pour les progressifs. On ne constate donc ni de report, ni de baisse de dépense. L’acte d’achat en optique apparaît comme « sanctuarisé ».

« 304€ pour les équipements unifocaux et 551€ pour les progressifs : les prix moyens restent stables en 2020 »

Il faut être vigilant, toutefois : le marché reste très dépendant du reste à charge. Comme en témoigne la part des consommateurs dépensant cette année moins de 100€ pour leur monture. Cette proportion passe de 28 à 33%.

Qu’en est-il justement des effets du 100% Santé ?

Nous pourrons mieux les analyser l’année prochaine. Le 100% Santé a connu les difficultés que l’on sait dans sa mise en place en janvier-février, stoppée ensuite par les 2 mois de confinement. D’où son peu d’impact sur le panier d’achat moyen. Néanmoins, 1 Français sur 2 a entendu parler de la réforme. Une majorité d’entre eux la juge positive, ce qui n’est pas une surprise, les consommateurs appréciant la démarche visant à la transparence et à des prix plus bas.

« Si 1 Français sur 2 a entendu parler du 100% Santé, en magasin peu le choisissent »

Mais on en voit peu la traduction en magasin. 2 raisons à cela, selon moi. Pour de nombreux porteurs, le 100% Santé a peu d’intérêt, sachant qu’ils peuvent bénéficier, via leur remboursement Ocam, d’un meilleur produit (verres comme monture) avec un reste à charge maîtrisé, voire nul. Par ailleurs, l’opticien conserve la confiance de ses clients. Résultat : un très faible nombre de consommateurs demandent plusieurs devis. Plus que le prix, c’est cette relation avec le professionnel de santé qui demeure déterminante.

Avec le confinement et l’épisode que nous vivons actuellement, le digital s’est pourtant imposé comme indispensable désormais dans le retail…

Certes, mais le consommateur reste fidèle à son opticien. Et sa confiance en lui a fortement progressé en 2020. Pour ses compétences en santé visuelle d’abord : 80% des consommateurs reconnaissent ses capacités à faire un examen de vue et 67% sont prêts à le faire (contre 56% en 2019). L’optique est plus que jamais ancrée dans la santé.

« Le digital ne remplacera pas la relation opticien/porteur »

On note également l’attachement des porteurs à la qualité de leur relation avec leur opticien. Les consommateurs « relationnels », ceux qui priorisent avant tout l’écoute, la qualité du conseil technique et médical en magasin, la sympathie du personnel représentent désormais 36% de notre échantillon (ils n’étaient que 31% en 2019). Le digital ne peut remplacer cette dimension relationnelle. Néanmoins, il a pris davantage de place dans cette relation client-opticien : on le voit avec la pratique des prises de rendez-vous post-confinement, la part croissante de consommateurs qui préparent leur achat en amont sur Internet (37% enclins à le faire), l’essayage virtuel des modèles.

N’y a-t-il donc aucun risque de « disruption » sur le marché dans le contexte actuel ?

Pour qu’il y ait disruption, il faudrait qu’il y ait création de valeur. Or actuellement, elle n’existe pas en termes de technologie. Il n’y a toujours rien de plus simple que d’aller chez son opticien pour s’équiper !

La crise sanitaire a-t-elle néanmoins modifié quelques comportements chez les porteurs ?

Il est encore trop tôt pour le savoir. Néanmoins 4 éléments nouveaux se dégagent. L’extension du télétravail a rendu, selon nos enquêtes, les porteurs plus sensibles aux dispositifs de réduction de la fatigue visuelle. Par ailleurs, on observe une montée en puissance de tous les sujets relatifs au digital : prise de rendez-vous, préparation des achats en amont sur Internet. La généralisation du port du masque, parce qu’il engendre des inconvénients (buée, esthétique…), est également un moteur pour les lentilles. Ainsi plus d’un porteur sur 4 serait prêt à en porter (une proportion encore plus forte chez les 25-34 ans). Or, les capacités d’adaptation (chez les ophtalmologistes comme chez les opticiens) pourraient davantage capter ce marché potentiel. Enfin, l’actualité sanitaire a renforcé les tendances en faveur de tout ce qui est éco-responsabilité et production en France.

*L’Observatoire de l’optique, 12e édition, étude du cabinet d’études Gallileo Business Consulting réalisée en juillet 2020 auprès d’un échantillon de plus de 4 000 porteurs de lunettes et de lentilles.

Maher Kassab

Maher Kassab,
fondateur et pdg de Gallileo Business Consulting