En recommandant d’élargir les responsabilités et les prérogatives des opticiens en matière de réfraction et de dépistage, le rapport de l’Igas (Filière visuelle : les lignes bougent enfin) peut conduire à des avancées majeures pour la profession et répondre aux besoins actuels et futurs des amétropes. A condition qu’il se traduise dans les faits. La Fnof (Fédération nationale des opticiens de France) et le Rof (Rassemblement des opticiens de France), en dépit de divergences, s’accordent sur la nécessité de concrétiser rapidement certaines mesures.

Rendu public le 15 septembre dernier, le rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) pointe du doigt l’insuffisance des actions menées jusqu’alors pour faciliter l’accès aux soins visuels des Français, en raison principalement du maintien d’un modèle traditionnel centré sur le monopole des ophtalmologistes comme premier recours. Les syndicats d’opticiens, à l’unanimité, se sont félicités de ce constat et des recommandations de ce rapport. Et insistent sur l’urgence de mettre en place certaines d’entre elles, visant à repenser l’accès des amétropes au parcours de soins. En effet, les dysfonctionnements actuels de la filière visuelle ont été aggravés par la crise sanitaire et les 2 mois de quasi-suspension de prescription des ophtalmologistes avec le confinement.

Un parcours de soins à entrées multiples

« La porte d’entrée dans le parcours de soins doit impérativement se faire en fonction des besoins et de l’âge des patients » plaide Alain Gerbel, président de la Fnof (Fédération des opticiens de France). « Et il existe 4 professions à même de gérer cette orientation de l’amétrope : l’ophtalmologiste, le médecin généraliste, l’opticien et l’orthoptiste. L’ophtalmologiste ne peut pas être le seul accès direct. Il faut travailler sur une entrée du patient dans la filière avec les 4 professionnels concernés, c’est une priorité. »

« Pour améliorer l’accès aux soins, repenser l’entrée des patients dans la filière visuelle en intégrant tous les professionnels de santé concernés »

Pour André Balbi, président du Rof (Rassemblement des opticiens de France), les différents points d’accès aux soins visuels constituent également le sujet central : « Il nous faut en urgence un nouveau modèle organisationnel de la filière et nous avons avec le rapport Igas une occasion historique de le faire. L’opticien est un relais sur le terrain qui peut libérer du temps médical aux ophtalmologistes et fluidifier le parcours de soins. Les opticiens, par leur nombre, leur maillage territorial, leurs compétences, doivent faire partie de la solution au problème d’accès aux soins visuels. Raison pour laquelle nous plaidons pour une application rapide par voie réglementaire des recommandations de l’Igas qui visent à accroître tout de suite et à plus long terme les possibilités de renouvellements d’équipements directement chez l’opticien. » Parmi celles-ci : élargissement de la liste des matériels d’exploration non invasifs utilisables par les opticiens et les orthoptistes, communication sur la possibilité de renouvellement par les opticiens et orthoptistes, extension de la durée de validité des ordonnances des 16-42 ans à 7 ans, adaptation par l’opticien des primo-prescriptions en cas d’erreur de réfraction.

Vers un opticien prescripteur ?

« Nous ne faisons pas en revanche le choix d’un modèle opticien prescripteur », souligne le président du Rof. Le syndicat entend ainsi demeurer dans une logique « ophtalmo-centrée » avec un développement des coopérations entre les professionnels sous l’autorité de l’ophtalmologiste. De son côté, Alain Gerbel en appelle certes à « repenser la primo-prescription ». Mais, pour le président de la Fédération, « il convient surtout de gérer sans délai différemment la question des renouvellements : sauf pathologies, le renouvellement doit sortir du périmètre de l’ophtalmologiste ».

« Les recommandations pour accroître les renouvellements directement chez l’opticien peuvent être mises en place sans délai et sont une priorité »

« Autoriser les opticiens à prescrire aux adultes de 16 à 42 ans avec une faible correction n’a pas de sens tant que les ophtalmologistes refusent les renouvellements sur la base d’ordonnances valides. » Pour éviter tout risque de démédicalisation, Alain Gerbel propose de « mettre le médecin généraliste au cœur du système ». « Un parcours de santé visuelle intégrant davantage le généraliste à celui des 3 autres professions serait une réelle avancée. »

« La primo-prescription n’a pas sens tant que le renouvellement reste dans le périmètre de l’ophtalmologiste »

Pour les 2 syndicats, il s’agit désormais d’aller vite. Les mesures principales qu’ils appuient peuvent se concrétiser par voie réglementaire (décrets). La possibilité de la primo-prescription, envisagée par le rapport Igas au cas où, malgré ces mesures, l’accès aux soins visuels ne s’amélioreraient pas avant la fin 2021, devrait être traduite dans le projet de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2021) pour être mise en place d’ici 2022. Ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Pour éviter tout risque d’enlisement, les syndicats d’opticiens entendent dans les prochaines semaines pousser des propositions d’amendement auprès du Parlement.

Extension des renouvellements, élargissement de la validité des ordonnances, primo-prescription par l’opticien : que dit le rapport Igas ?

 

  • Recommandation 12 : fixer et élargir la liste des matériels d’exploration non invasifs utilisables par les opticiens et les orthoptistes, en autonomie et sous contrôle des ophtalmologistes (autoréfractomètre, réfracteur, lampe à fentes (ce qui est déjà le cas depuis le décret de 2016), tonomètre, l’OCT et le rétinographe).
  • Recommandation 16 : campagnes d’information annuelles sur la possibilité de renouvellement par les opticiens et orthoptistes
  • Recommandation 17 : ajouter sur les ordonnances de verres correcteurs la mention de la possibilité du renouvellement des équipements par les opticiens et les orthoptistes.
  • Recommandation 18 : autoriser les opticiens et orthoptistes à communiquer en dehors de leur magasin sur cette possibilité
  • Recommandation 19 : élargir de 2 ans la durée de validité des ordonnances pour les 16-42 ans (de 5 à 7 ans)
  • Recommandation 20 : autoriser les opticiens à adapter les primo-prescriptions en cas d’erreur manifeste
  • Recommandation 23 : si les mesures précédentes ne suffisent pas, autoriser la primo-prescription par les opticiens et les orthoptistes pour les 16-42 ans avec une faible correction de la vision.
André Balbi

André Balbi,
président du Rof (Rassemblement des opticiens de France)

Alain Gerbel

Alain Gerbel,
président de la Fnof (Fédération nationale des opticiens de France)