La crise du Covid-19 confronte les acteurs du retail à une incertitude fondamentale, un environnement difficile à gérer, caractérisé par l’imprévisibilité. D’où la nécessité de repenser la dynamique de fidélisation des clients, seul levier efficace d’anticipation.

Bien Vu a interrogé Jean-Paul Crenn, fondateur du cabinet de conseil et d’accompagnement Vuca Strategy.

La crise du Covid-19 est-elle le révélateur de nouveaux enjeux auxquels les entreprises sont confrontées ?

Elle place l’ensemble des acteurs économiques face à un environnement que beaucoup ne voulaient pas voir mais qui existait depuis longtemps : à savoir un monde où nous ne gérons plus tout et où les recettes et projections toutes faites ne suffisent plus. En ce sens, elle est autant un révélateur qu’un accélérateur. Regardez les enseignes qui en pâtissent d’ores et déjà : beaucoup avaient depuis longtemps oublié le client final au profit de politiques de volumes et de promotions.

« Volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté : l’acronyme du monde nouveau »

Comment s’adapter à cet environnement par principe… imprévisible ?

C’est tout l’enjeu ! Il existe aujourd’hui un concept qui se popularise aux Etats-Unis, le VUCA, et dont l’acronyme résume bien le manque de visibilité auquel nous sommes confrontés : Volatilité, Incertitude (Uncertain en anglais), Complexité et Ambiguïté. Elaboré par les experts de l’US Army War College en 1991 pour décrypter le monde post-guerre froide, le concept a été repris depuis la crise de 2008 par plusieurs grands groupes, comme Unilever, pour refonder leur stratégie. Il part de ce constat d’incertitude pour reposer les approches. Or aujourd’hui, il ne suffit pas de tout accélérer, et en particulier la fameuse transformation digitale, pour s’adapter à ce monde nouveau. Ce n’est pas les réseaux sociaux et le CRM qui changeront les choses… Ils constituent des outils intéressants, certes, mais ce ne sont que des outils. Il faut revenir à ce qui fait la base de l’activité et de cette imprévisibilité : à savoir le client final.

« Aujourd’hui, il ne suffit plus d’accélérer la transformation digitale. Il faut repartir de ce qui constitue cette imprévisibilité, à savoir le client final »

Dans ce monde incertain, en quoi la fidélisation se révèle fondamentale ?

C’est le seul levier d’anticipation dont disposent les activités de commerce. Le contexte dans lequel nous sommes et qui va perdurer oblige les enseignes à consolider mais aussi à repenser cette dynamique de fidélisation. D’abord en termes de flux car nos comportements d’achat changent. Il convient de distinguer davantage ce qui relève d’achats de commodités – ce que l’on appelle « les courses » – qui représentent 90% de l’activité en grande distribution et où les algorithmes auront toute leur place pour apporter de la fluidité et de l’immédiateté. Ce qui diffère du « shopping » où le consommateur est par définition en quête de sens et d’expérience. Dans ce cas, il s’avère essentiel de maîtriser de bout en bout l’expérience client et de démontrer ce qui fait réellement la valeur du produit. Pour l’optique, les dynamiques de fidélisation sont différentes pour le renouvellement des lentilles et des lunettes, par exemple.

« Proche du client, même quand il n’est pas là ! »

Comment adapter ces approches de fidélisation à un contexte de distanciation et de protection où l’on voit moins de clients et de manière plus éloignée ?

C’est l’autre point fondamental. Depuis des années déjà, on constate moins de contact physique dans la relation client. Cette diminution se compense par une technicité et une expertise plus présentes. Les enjeux de fidélisation à venir vont probablement conduire à renforcer cette dimension d’expertise ainsi que le suivi des clients. La relation client se prolongera hors du point de vente, ce qui suppose de rester proche de lui, même quand il n’est pas en magasin. Cela passera par des outils de segmentation de clientèle et de CRM, bien sûr. Mais aussi par divers services d’abonnements, de conciergerie ou de service après-vente qui peuvent se mettre en place. On voit déjà de grandes enseignes comme Sephora ou même Amazon intégrer cette agilité pour répondre aux moindres demandes ou aux anomalies des produits proposés.

Jean-Paul Crenn