Plus d’1 million de téléconsultations avaient lieu chaque semaine début mai. Comparé aux 10 000 comptabilisées par l’Assurance maladie jusque début mars, ce chiffre donné par le ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran, illustre la croissance exponentielle de ce segment de la télésanté depuis le 17 mars dernier.

L’analyse

Selon l’Assurance maladie, la téléconsultation qui restait anecdotique et couvrait moins d’1% de l’ensemble des consultations avant la crise, représentait fin avril 20% d’entre elles et était pratiquée par 45 000 médecins généralistes et spécialistes. Réponse adéquate, lors du confinement, à la baisse drastique de fréquentation des cabinets médicaux (82% des ophtalmologistes ont eu une activité en recul d’au moins 95% par rapport à leur activité habituelle, source : Snof), elle a été facilitée par un assouplissement des règles de prise en charge. En effet, avec l’avenant 6 de la convention médicale (Arrêté du 1er août 2018), le remboursement n’était possible que si la téléconsultation respectait le parcours de soins et si le médecin avait vu le patient dans les 12 derniers mois, sauf dérogation. Verrou réglementaire supprimé par le décret du 9 mars et l’arrêté du 23 mars 2020 (Arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire) et ce système dérogatoire a été prolongé jusqu’à fin décembre 2020. En ophtalmologie, la téléconsultation, depuis le 17 mars, n’a été utilisée que par 16% des spécialistes. En cause, selon Thierry Bour, président du Snof (Syndicat national des ophtalmologistes de France), « les difficultés à sa mise en place, les examens nécessitant des appareils spéciaux. » Selon une enquête du syndicat, 34% des ophtalmologistes jugent sa poursuite inutile, 47% peu importante. « Les points de vue des confrères interrogés se recoupent quels que soient leur âge et leur mode d’exercice, en cabinet aidé ou seul », précise Thierry Bour. Même quand elle a été plus systématiquement pratiquée, la téléconsultation retrouve une place plus modeste depuis le début du déconfinement : « Nous sommes passés de 100 consultations par jour à environ une trentaine à l’heure actuelle », déclare François Pelen, ophtalmologiste et co-fondateur de Point Vision (35 centres), qui a noué un partenariat en avril dernier avec Qare, spécialiste de la téléconsultation en France. « Nous préconisons toutefois la pérennisation de cette solution. C’est une des pistes intéressantes pour réduire les délais d’attente, grâce à un premier tri que l’on peut effectuer entre les patients et au suivi des pathologies », précise-t-il. Une piste qui reste néanmoins centrée pour les ophtalmologistes sur la téléconsultation et la télé-expertise entre médecins. « La création de télé-expertises avec les opticiens ne convainc pour le moment que 6% des ophtalmologistes que nous avons interrogés dans notre enquête », souligne Thierry Bour. « En revanche, il est important de faire jouer à plein les possibilités de renouvellement d’une ordonnance en cours de validité directement chez les opticiens. » 44% des ophtalmologistes, particulièrement les moins de 50 ans (55%), se déclarent favorables au déploiement de l’e-prescription : « C’est un des axes du Ségur de la Santé, la « santé numérique » va se développer. Avec l’e-prescription, c’est-à-dire, la dématérialisation de l’ordonnance sur le Dossier médical partagé, le renouvellement par l’opticien ou l’orthoptiste et leurs échanges sécurisés nécessaires avec l’ophtalmologiste sera facilité », conclut Thierry Bour. En mars dernier, quelques jours avant le confinement, a été lancée la phase pilote de la plateforme Mimosa Santé, « une plateforme qui vise à fluidifier la collaboration entre les 3 « O » », en proposant l’e-prescription et des échanges sécurisés entre les professionnels de la filière (ophtalmologistes, orthoptistes, opticiens, laboratoires et Ocam).

Et à l’étranger ?

En Allemagne, les verrous au développement de la téléconsultation ont sauté en novembre 2019 avec le Digital Care Act : les médecins peuvent prescrire aux patients des applications de santé numériques remboursées par l’assurance maladie allemande. Ils bénéficient en outre de subventions s’ils proposent des consultations en ligne. En Suède, la téléconsultation, prise en charge à l’échelle nationale, a pris son essor dès 2016 pour lutter contre les déserts médicaux et raccourcir les délais d’attente. Pour rappel, en Suède, en optique, le premier interlocuteur du patient est l’opticien qui est habilité à faire les premiers contrôles et qui réoriente après vers l’ophtalmologiste si nécessaire. Avant la crise du Covid-19,6% des consultations de premier recours étaient effectuées à distance (contre 1% en France).

Thierry Bour

Dr François Pelen