Les opticiens jouent un rôle prioritaire dans la vie des établissements pour seniors, en prévenant et compensant les troubles visuels des résidents. Ils peuvent contribuer en outre à la transformation nécessaire de ces lieux de résidence en véritables centres territoriaux de santé spécialisés dans les problématiques du vieillissement.

Bien Vu a interrogé Jean-Marc Blanc, ancien directeur d’Ehpad et directeur de la Fondation i2ml*, et Eve Guillaume, directrice de l’Ehpad « Lumières d’automne » à Saint-Ouen**

La santé visuelle est-elle suffisamment prise en compte au sein des Ehpad ?

Jean-Marc Blanc : On pense trop souvent qu’être vieux signifie nécessairement « être moins » dans de nombreux domaines fonctionnels comme la santé visuelle. Or, la dégradation de la vision peut avoir un impact fort sur la vie des résidents. Elle augmente le risque de chutes, accélère la perte d’appétit parce que la personne âgée voit moins bien ses aliments, diminue les interactions sociales qui deviennent difficiles faute de distinguer ses interlocuteurs…. Ces phénomènes insidieux contribuent à la perte d’autonomie et de dignité des personnes et accélèrent leur chemin vers la dépendance. Agir et prévenir s’avère donc essentiel.

« Il est souvent difficile de prendre conscience de la baisse de vision des résidents en Ehpad »

Eve Guillaume : De plus, il est difficile de prendre conscience de la baisse de vision des résidents. Faute de mesures régulières, l’alerte vient généralement d’événements associés comme la récurrence de chutes ou les difficultés à porter sa fourchette à sa bouche. On agit tard et la prise en charge est rendue complexe par les délais de prise de rendez-vous chez les ophtalmologistes, le déplacement des résidents qui suppose de mobiliser des ambulances ou les familles. Sans compter qu’avec certains patients atteints d’Alzheimer, les équipements adaptés ne sont pas toujours portés, car les patients ont tendance à perdre ou échanger leurs lunettes.

Les opticiens peuvent-ils jouer un rôle important auprès de ces patients ?

JMB : Quand je dirigeais un Ehpad dans le Gard, j’avais passé un accord avec un opticien pour venir vérifier et délivrer les équipements des résidents. Il disposait d’une vingtaine de modèles pour fournir un équipement adapté avec une prise en charge à 100%. Expérience utile mais limitée à une intervention de gré à gré, longue et difficile à monter. Il faut avoir le temps et trouver un opticien motivé à proximité de l’établissement : c’est loin d’être gagné.

« Les interventions d’opticiens en Ehpad se font de gré à gré et sont longues et difficiles à monter »

EG : Les opticiens sont utiles pour réaliser les mesures visuelles et fournir l’équipement des résidents. Au-delà, les personnels des Ehpad ont besoin de leur expertise en santé visuelle pour améliorer le quotidien des résidents. On en a pris conscience durant le confinement où différents professionnels de santé sont venus nous prêter main-forte pour maintenir le lien social au sein de l’établissement confiné.

« Nous avons besoin de l’expertise en santé visuelle des opticiens pour améliorer la vie quotidienne des résidents »

Une spécialiste de santé visuelle nous a alerté sur des détails qui nous échappaient comme les repas que l’on servait sur des assiettes et plateaux blancs, ne facilitant pas la reconnaissance des aliments. On a pu réaménager certaines chambres de résidents en fonction de leurs troubles visuels et en plaçant, par exemple, les sonnettes et les commandes dans leur champ de vision le moins dégradé. Ces démarches peuvent asseoir de vrais partenariats avec des professionnels de l’optique.

Un décret de février 2020 autorise les opticiens à pratiquer des examens de réfraction en Ehpad et adapter les ordonnances valides. Cela peut-il changer la place des professionnels de santé visuelle au sein des établissements ?

 JMB : C’est un bon début mais, pour le moment, cela reste au stade des expérimentations. Il faut aller plus loin et en faire une véritable priorité, car tout ce qui est jugé « annexe » dans des établissements où les budgets et l’activité sont particulièrement tendus, est vite oublié. Or, il y a un vrai enjeu à intégrer des professionnels comme les opticiens à la vie des Ehpad. Pour les résidents mais aussi pour faire de ces établissements de vrais hubs territoriaux de santé. On peut tout à fait envisager d’ouvrir les téléconsultations réalisées au sein des établissements aux habitants des villages ou quartiers voisins, d’organiser des consultations avancées régulières au sein de l’Ehpad ou même dans des camions mobiles avoisinants avec des spécialistes comme des opticiens qui bénéficient à la population des résidents mais aussi plus largement du territoire.

« Intégrer les opticiens à la vie des Ehpad permettrait de faire de ces établissements de vrais « hubs » territoriaux de santé »

EG : C’est une voie d’avenir essentielle pour que ces établissements puissent devenir des centres d’expertise avancée et pas simplement des lieux de résidence. Nous sommes un certain nombre à plaider pour le développement de consultations ouvertes à des patients extérieurs aux établissements, particulièrement dans les déserts médicaux, ainsi que pour le développement de projets de recherche universitaires, notamment paramédicaux, associées aux problématiques de vieillissement. Les opticiens pourraient être associés et trouver leur place dans cette diversification d’activité.

* La Fondation i2ml développe des projets innovants pour les usages et usagers des Ehpad.

** Eve Guillaume est également l’auteur d’un blog remarqué sur le quotidien de son établissement pendant la crise sanitaire « Mon Ehpad au temps du coronavirus ».

Jean-Marc Blanc

Eve Guillaume