Interrogée par la Cnam (Caisse nationale d’assurance maladie) sur la compatibilité de la transmission des codes LPP détaillés aux Ocam, la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a rendu son avis en avril dernier. Une décision dont se félicitent les syndicats d’opticiens, au grand dam de la Mutualité française.

Un avis très attendu

Depuis janvier 2020, les Ocam et les plateformes ont continué d’exiger la transmission des codes LPP détaillés et d’autres données de santé pour les PEC de vos clients. Sont-ils habilités à le faire ? Est-ce conforme aux dispositions du RGPD ? La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a clairement répondu non, dans le cadre du devis normalisé entré en vigueur en début d’année. De leur côté, les Ocam ne cessent d’affirmer que « les données techniques détaillées sont indispensables pour permettre un remboursement, éviter les erreurs, les abus ou les fraudes ».

La Cnil a été sollicitée par la Cnam pour répondre à ces questions. Et l’on attendait son avis avec impatience aussi bien du côté des opticiens que des complémentaires. Le courrier de la Commission est parvenu à la Cnam, le 20 avril dernier, en pleine période de confinement. Que dit-il ? La Cnil envisage en réalité 2 réponses différentes.

Des codes regroupés suffisants pour le panier 100% Santé

Pour la prise en charge des équipements du panier 100% Santé, « et sous réserve des quelques ajustements nécessaires auxquels la Cnam a indiqué pouvoir rapidement procéder pour l’audiologie », la Cnil estime que la transmission des codes regroupés semble suffisante « pour permettre aux Ocam de liquider les dépenses de santé ».

Hors 100% Santé, un cadre actuel peu satisfaisant

Pour la prise en charge des équipements hors panier 100% Santé, elle se réfère, en premier lieu, au consentement par l’assuré à transmettre ses données de santé via les codes LPP détaillés. « Un consentement dont le caractère libre, spécifique, éclairé et univoque, devra alors être démontré. » Or, si la validité de celui-ci « ne saurait être remise en cause » en ce qui concerne les contrats individuels, ce n’est pas le cas pour les contrats collectifs. Les salariés, en effet, ne disposent pas d’une réelle liberté de choix de transmettre ou non leurs données à caractère personnel aux complémentaires santé, note la Commission. Elle envisage donc la transmission des codes LPP détaillés par la Cnam, « dès lors qu’elle serait nécessaire aux fins de l’exécution des obligations en matière de protection sociale, comme le prévoit l’article 9-2 du RGPD ».

« La Cnil estime que pour le panier 100% Santé la transmission des codes regroupés est suffisante. »

De quelle manière ? Première option au cas par cas. Une solution peu satisfaisante selon la Commission et surtout peu réalisable en pratique. Deuxième option : la transmission systématique. Tout aussi insatisfaisante pour la Cnil. Parce qu’elle « pose une difficulté au regard du principe de minimisation (seules les informations nécessaires doivent être transmises aux Ocam, ndlr) » et interroge sur les droits et libertés des personnes.

« Selon la Cnil, la transmission systématique par la Cnam des codes détaillés aux Ocam n’est pas satisfaisante et pose une difficulté s’agissant des droits et libertés des personnes concernées. »

Une « victoire » pour les opticiens ?

Oui. La Fnof (Fédération nationale des opticiens de France) et le Rof (Rassemblement des opticiens de France) ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Pour André Balbi, président du Rof, « la commission reconnaît que les codes regroupés sont suffisants pour le panier 100% Santé. Et compte tenu du principe de minimisation des collectes édicté par le RGPD, elle confirme que nous avions raison de nous interroger sur le fondement de la transmission des codes détaillés. » Même satisfaction chez Alain Gerbel : « En l’état, selon la Commission, les demandes de codes détaillés par les Ocam ne sont pas fondées et donc illégales. »

« Pour le Rof, les opticiens sortent renforcés dans leur droit. En revanche, c’est aux Ocam de se mettre en conformité avec l’avis de la Cnil. »

Ce que conteste évidemment La Mutualité française dans un communiqué de presse paru ce mercredi, dénonçant toutefois un avis « paradoxal » : « La Cnil relève que les complémentaires sont fondées à recevoir les informations nécessaires pour assurer le remboursement des adhérents. Mais, dans le même temps, elle estime que les informations transmises par la Cnam ne doivent pas être détaillées lorsqu’il s’agit du 100% Santé. »

« La Mutualité française estime l’avis de la Cnil paradoxal et avertit sur le danger d’un alourdissement des démarches pour les adhérents et les mutuelles. »

Et d’envoyer un avertissement clair aux pouvoirs publics : « Si la Cnam ne pouvait transmettre les données techniques détaillées aux complémentaires, les mutuelles pourraient être contraintes, à terme, de demander systématiquement elles-mêmes ces informations directement à leurs adhérents. Avec pour conséquence un alourdissement des démarches pour ces derniers comme pour les mutuelles. » Pour Thierry Beaudet, président de La Mutualité française, il en va de la réussite du 100% Santé et de l’amélioration de l’accès aux soins pour tous les Français…

Que faire en magasin ?

En réalité, sans grande surprise, cette décision de la Commission ne règle pas complètement la question, en tout cas pour le marché hors panier 100% Santé. Elle pointe cependant la nécessité d’un cadre juridique clarifié et renvoie à une négociation entre toutes les parties.

« Dans l’attente d’une loi de portée générale, toutes les demandes de codes LPP détaillés sont illégales, selon la Fnof. »

« Aux Ocam de se mettre en conformité et changer leurs pratiques », déclare André Balbi, en soulignant que le Rof est prêt à une large concertation entre ministère, professionnels de santé et Ocam. Pour Alain Gerbel, « si les Ocam souhaitent autre chose que les codes regroupés sur le marché hors panier 100% Santé, il faudra une loi de portée générale. Mais dans l’attente, la transmission des codes détaillés et de l’ordonnance est interdite. » Si, concrètement, l’avis de la Cnil ne clôt pas le débat, il relance, en faveur des opticiens, le débat central du début de l’année.

André Balbi,
président du Rof
(Rassemblement des opticiens de France)

Thierry Beaudet,
président de La Mutualité française

Alain Gerbel,
président de la Fnof
(Fédération nationale des opticiens de France)