Au sortir du confinement, le 11 mai prochain et dans les semaines suivantes, vos clients seront-ils au rendez-vous pour la reprise ? A quel rythme reviendront-ils dans vos magasins et avec quels besoins et attentes ? C’est la grande interrogation pour tous les acteurs du secteur.

Pour y répondre, nous avons interrogé 2 experts de la consommation et du marketing, Nicolas Diacono, analyste digital senior, L’Echangeur BNP Paribas Personal Finance, et Max Poulain, docteur en sciences de gestion, maître de conférences à l’université de Caen en charge du Master marketing de l’Institut d’administration des entreprises.

Nouveaux arbitrages et réévaluation des priorités de consommation

La durée du redémarrage de votre activité dépend avant tout du comportement des consommateurs à l’issue du confinement. Vont-ils opter pour un rattrapage d’une consommation stoppée nette en privilégiant les achats plaisir ? Ou au contraire, adopter un comportement guidé par la prudence et de nouveaux arbitrages.

En Chine, pays qui a entamé la période de déconfinement, on observe les deux tendances. D’un côté, un « revenge spending », une frénésie d’achats consécutive à une frustration de plus de 2 mois, dont témoigne la ruée sur la boutique Hermès située à Guangzhou mi-avril. De l’autre, selon un sondage réalisé par la banque UBS auprès de 1 000 adultes au début de ce mois, les trois quarts des répondants indiquent dépenser moins qu’avant l’épidémie dans leurs loisirs et les restaurants ; et deux tiers achètent moins dans les magasins.

« La crise sanitaire opère un rééchelonnement des valeurs en faveur de la santé. C’est un atout à saisir pour les opticiens »


« En France, la consommation va dépendre directement des revenus. Une certaine catégorie de la population pourra se tourner vers des achats plaisir, pour compenser la diète du confinement. Mais je suis convaincu que cette attitude restera marginale », indique Nicolas Diacono. « Les consommateurs vont privilégier d’autres arbitrages en se recentrant sur des dépenses plus essentielles. » Dont celles de santé. Selon une étude récente de l’Observatoire Cetelem sur le profil d’un nouveau consommateur « activiste », déjà avant la mi-mars, 59% des Européens plaçaient au 2e rang de leurs priorités l’importance accordée aux effets des produits sur la santé. : « La crise sanitaire opère un rééchelonnement des valeurs en faveur de la santé. A la question environnementale qui impacte depuis plusieurs années les modes de consommation s’ajoute désormais la dimension sanitaire fondamentale », analyse Max Poulain. « C’est un atout à saisir pour les opticiens. A condition de bien savoir mettre en avant leur utilité sociale comme professionnels de santé, ce qui n’a pas été forcément le cas pendant la période de confinement. »

Renforcer la dimension phygitale

L’épidémie accélère également certains comportements des consommateurs déjà bien visibles avant la crise. Sur certains secteurs comme l’alimentaire et les produits de grande consommation, sans surprise, on observe des augmentations d’activité et de trafic très significatives du e-commerce en raison de la fermeture des magasins. Mais, selon la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance), ces hausses doivent néanmoins être nuancées : ce sont les structures traditionnelles, les drives, qui fonctionnent très bien. Parallèlement, 76% des sites de e-commerce ont enregistré un recul des ventes depuis le 15 mars et pour la moitié d’entre eux ce recul est de plus de 50%.

« Le confinement est une sorte de crash test pour tous les commerces. Il n’y a que les acteurs qui avaient déjà intégré l’omnicanal qui vont pouvoir s’en sortir »


« De nombreux consommateurs ont pris l’habitude d’acheter en ligne et continueront. Le confinement est une sorte de crash test pour tous les commerces. Et, de mon point de vue, il n’y a que les acteurs qui avaient déjà intégré l’omnicanal qui vont pouvoir s’en sortir », affirme Nicolas Diacono. Mais quel omnicanal, particulièrement pour la distribution optique ? « La dimension phygitale (complémentarité site internet-magasin physique) devient centrale évidemment. Mais elle ne doit pas se limiter à une simple juxtaposition d’un site, esthétique et pédagogique, et du point de vente », précise Max Poulain. Qui milite pour une remise à plat intégrale du parcours client : « C’est d’autant plus crucial pour l’opticien que la période de déconfinement va être longue. Il faut inventer une prise en charge et une prise en considération du client en dilatant l’espace physique du magasin. L’opticien peut utiliser son site pour construire vraiment la relation client aussi bien en amont qu’en aval. » Avant la visite en magasin, il peut avoir une première prise de contact avec son client, faire l’anamnèse et procéder à la découverte de ses besoins, préparer un click and collect, etc. Un point particulièrement important pour les clients presbytes âgés dont les sorties risquent d’être limitées encore un certain temps et qui auront besoin d’une relation sécurisée sur le web combinée avec une visite en magasin.

« Construire la relation client dans une continuité entre son site et son point de vente »


La sécurisation peut prendre aussi une autre voie avec le développement de l’automatisation : « La crise sanitaire accélère l’automatisation, garante de « distanciation sociale », dans tous les magasins physiques », fait savoir Nicolas Diacono.

Consommer mieux

La période de confinement provoque enfin une prise de conscience de l’importance des circuits courts, d’une consommation plus locale et, même si c’est à l’heure actuelle de manière contrainte, plus raisonnée. En alimentaire, en mars, les produits bio ont enregistré une croissance de 23% contre 16% pour le traditionnel. Une tendance forte qui devrait perdurer. A la faveur du confinement, l’alimentation et les produits de santé sont apparus en outre comme des secteurs stratégiques dont il fallait absolument récupérer la maîtrise de la production. « Il y a là une vraie occasion pour remettre le made in France au cœur de la consommation, y compris en optique », indique Nicolas Diacono. « Les opticiens peuvent capitaliser sur ces terrains fondamentaux de leur métier : la santé et l’artisanat », insiste Max Poulain. « Les clients seront au rendez-vous s’ils ont en face d’eux des professionnels de santé, également soucieux de mettre en avant l’expertise de toute la filière optique. Mais aussi des artisans, opticiens-lunetiers, à la fois détenteurs d’un vrai savoir-faire et dans une relation de grande proximité avec eux. » Sachant qu’au redémarrage de l’activité, la question de la part des offres 100% Santé se reposera dans un contexte de prudence et de contraction du pouvoir d’achat, ces deux atouts vont aussi se révéler indispensables pour promouvoir la valeur ajoutée des équipements.

Pour les consommateurs, le retour dans vos magasins se fera d’autant plus vite qu’il répondra à un véritable besoin de santé et aura du sens. Et pas seulement celui d’acquérir un équipement.

A retenir

  • Un rééchelonnement des valeurs en faveur de la santé. Et de nouveaux arbitrages vers une consommation essentielle. Les opticiens ont tout intérêt à réinvestir clairement vis-à-vis de leurs clients les dimensions d’utilité sociale, de santé, d’artisanat et de souci de la filière.
  • Accélération de la phygitalisation, croissance d’une consommation responsable privilégiant les produits made in France.
  • Automatisation des commerces accrue et dilatation de l’espace du magasin. Combiner la distance et la proximité en repensant un parcours client sécurisé et en privilégiant la relation opticien-client plutôt que le simple achat d’équipement.

Nicolas Diacono,
analyste digital senior, L’Echangeur BNP Paribas
Personal Finance

Max Poulain,
docteur en sciences de gestion, maître de conférences à l’université de Caen en charge du Master marketing de l’Institut d’administration des entreprises