Dans le secteur optique, 14 magasins ont fait l’objet d’une procédure collective au premier trimestre 2020 et 1 seul point en vente en avril. Des chiffres plutôt encourageants, dévoilés la semaine dernière par le groupe Altares. Doit-on craindre cependant, à l’issue de la période d’état d’urgence (24 juillet), une déferlante de défaillances ? Le risque existe, confirmé par les dernières déclarations de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie. Mais les procédures auprès du tribunal de commerce (sauvegarde, mandat ad hoc ou procédures de conciliation) sont également des dispositifs de l’Etat conçus pour sauver les entreprises.

Le chiffre

1 seule défaillance d’un commerce de détail optique a été enregistrée en avril 2020. Un chiffre en très nette baisse par rapport à avril 2019 qui comptabilisait 8 procédures collectives : 4 liquidations judiciaires et 4 redressements judiciaires.

Le contexte

La déferlante redoutée n’est donc pas encore là. Plusieurs raisons à cela. La fermeture des tribunaux de commerce en mars avec une reprise progressive des audiences via la visioconférence à partir de début avril, en premier lieu.  Mais surtout l’ordonnance 2020-306 du 25 mars autorise les entreprises en difficulté à reporter leur déclaration de cessation de paiement auprès du tribunal de commerce jusqu’à 1 mois après la fin de l’état d’urgence, soit le 24 août.

« Jusqu’au 24 août, l’état de cessation de paiement est apprécié au regard de la situation financière de l’entreprise au 12 mars »

« En clair, quelle que soit sa situation, une entreprise peut ne pas être considérée comme en cessation de paiement si elle ne l’était pas au 12 mars, date de référence validée par le Conseil d’Etat. Elle se trouve pour ainsi dire sous cloche », explique Thierry Millon, directeur des études Altares. Ce qui laisse aux magasins d’optique en difficulté encore plus de 3 mois pour bénéficier d’un redémarrage de la consommation et d’une amélioration de leur trésorerie.

L’analyse

« Aujourd’hui, le risque de défaillance n’existe pratiquement pas. Au 2e trimestre, on peut espérer que les entreprises en difficulté, surtout les TPE, puissent profiter de ce laps de temps pour leur convalescence avec la relance de la consommation. Mais difficile de prévoir sa dynamique et son rythme. Il faut avoir à l’esprit que, pendant cette même période, la baisse du PIB devrait avoisiner les -15%. A cela s’ajoutent les inquiétudes sur l’emploi et sur la sécurité sanitaire chez bon nombre de consommateurs », souligne Thierry Millon.

« Chacun souhaite que d’ici fin août, le redémarrage de la consommation permette la convalescence des TPE en difficulté. Mais difficile, à l’heure actuelle, de prévoir la dynamique de consommation »

Cette « anticipation » d’une crise économique et sociale sans précédent risque d’accroître ses effets et de retarder d’autant le retour des consommateurs en magasin. Pour mémoire, selon un sondage Ifop pour BNP-Paribas*, seuls 16% des Français se disent impatients de consommer à partir du 11 mai. « Dans ces conditions, on peut craindre une forte recrudescence des défaillances en septembre avec un engorgement des tribunaux de commerce », s’inquiète Thierry Millon.

« Mandat ad hoc, procédure de conciliation ou sauvegarde : autant de dispositifs d’Etat à même de sauver les entreprises »

« C’est pour cette raison que je conseillerais aux opticiens de ne pas attendre fin août pour aller au tribunal de commerce afin de convertir leurs difficultés en opportunité de rebondir. » Et ce d’autant que différentes procédures pouvant sauver l’entreprise. « Le redressement judiciaire gèle les créances et permet de mettre en place un échelonnement des dettes sur le long terme tout en définissant un plan de relance. Mais il y a d’autres dispositifs comme le mandat ad hoc, la procédure de conciliation ou la sauvegarde. Tous doivent être considérés comme des outils mis en place par l’Etat pour éviter une disparition de l’entreprise. Pour les TPE, ils représentent une alternative particulièrement intéressante au prêt garanti par l’Etat qu’elles devront rembourser à terme », précise Thierry Millon. Dans cette perspective, les tribunaux de commerce ont mis en place un service (pour adresser une demande par mail au président à votre tribunal de commerce prevention@tribunauxdecommerce) pour accompagner et conseiller les chefs d’entreprise dans leur démarche. « Des outils de prévention confidentiels et gérés à huis clos (conciliation, mandat ad hoc) ou encore les procédures collectives comme la sauvegarde ou le redressement judiciaire permettent à l’entreprise de se mettre sous protection et de renégocier ou geler ses créances, pour obtenir un regain de trésorerie le temps de la crise », confirme Christophe Basse, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires.

* Sondage réalisé en ligne auprès d’un échantillon de 1 501 personnes âgées de plus de 18 ans du 28 au 29 avril 2020 sur la base d’un questionnaire auto-administré.

A retenir

  • Sauvegarde : procédure préventive afin de traiter les difficultés insurmontables d’une entreprise avant que celle-ci ne soit en état de cessation de paiement. Par la mise en place d’un plan de sauvegarde, l’entreprise peut continuer son activité (au besoin en procédant à sa réorganisation), maintenir l’emploi et apurer ses dettes. Le chef d’entreprise n’engage pas sa caution personnelle. Toutes les dettes CT, MT et LT sont gelées et des reports d’échéances sont négociées avec les créanciers.
    Pour en savoir plus : https://www.entreprises.cci-paris-idf.fr/web/reglementation/entreprises-en-difficulte/sauvegarde
  • Mandat ad hoc : procédure préventive et confidentielle de règlement amiable des difficultés auprès du tribunal de commerce. Elle permet de négocier un accord avec ses principaux créanciers afin d’obtenir des rééchelonnements de dettes. Condition : ne pas être déclaré en état de cessation de paiement. Avantage : confidentialité, gestion de l’entreprise par le seul dirigeant, rapidité de la procédure et efficacité (10 % seulement des mandats ad hoc débouchent sur une procédure collective).
    Pour en savoir plus : https://www.entreprises.cci-paris-idf.fr/web/reglementation/entreprises-en-difficulte/mandat-ad-hoc

Thierry Millon,
directeur des études Altares